Les golfs : Un fiasco se déploie sous nos yeux

Chers lecteurs,

J’aimerais partager avec vous mes réflexions concernant le fiasco qui se déploie sous nos yeux dans le dossier des golfs de Saint-Luc. Une analyse préliminaire du plan présenté le 3 décembre dernier permet de noter le caractère frivole de la proposition.

Alors que les terrains sont déjà en grande partie protégés par le zonage récréatif, par le deuxième plan de conservation et par la présence de milieux humides, le secteur de la Bergère et des Échevins est tout indiqué pour la réalisation des engagements pris en 2015, soit: la création d’un parc-nature d’envergure régionale et l’atteinte de 10% de couvert forestier. Hélas, fidèle à elle-même, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu propose plutôt de fragmenter un espace vert au profit d’un projet d’étalement urbain.

En effet, il est proposé de détruire 25% du secteur pour y construire 800 unités d’habitation et une voie locale de transit. De par sa position excentrée du reste de la trame urbaine, ce développement aura un impact négatif sur les finances de la Ville. De par la proximité et la facilité d’accès à l’autoroute 35, il est réaliste d’anticiper que ces résidents travailleront, consommeront et se divertiront dans la couronne sud de Montréal plutôt que localement. La Ville encourt donc le risque de consacrer le statut de banlieue dortoir en contradiction avec sa position de ville centre et capitale régionale du Haut-Richelieu.

Ce risque serait d’autant plus exacerbé par la voie locale de transit reliant le chemin Saint-André au boulevard de la Mairie, qui est sans équivoque à l’opposé des actions que doivent poser les municipalités. Il est abondamment documenté que l’ajout de voies a pour conséquence d’augmenter le nombre d’usagers. Il s’agit du concept de la demande induite. Y juxtaposer le mot local n’entraînera pas moins de trafic. Plus de voitures signifie qu’il y aura plus de pollution sonore et plus de particules en suspension. En plus de morceler le parc, elle viendrait imperméabiliser le sol, fragmenter le milieu naturel et fragiliser l’écosystème.

Il y a lieu de s’inquiéter pour l’avenir du secteur une fois la construction des terrains de golf et boisés environnants entamée. Ces éléments exerceront une pression encore plus forte sur les espaces verts adjacents restants. Sachant qu’aucun des milieux naturels de la ville ne sont protégés à perpétuité et que deux parcs ont été amputés au profit de projets immobiliers (parc Christophe-Colomb et parc François-Xavier-Langelier), il est imprudent de faire confiance aux pourcentages présentés.

Le projet est vendu comme étant la solution pour la réalisation de la fameuse passerelle pour relier les deux secteurs Saint-Luc. Construire dans l’axe du boulevard de la Mairie devient donc une option intéressante, car cela permettrait de réaliser un équipement collectif et du logement sans détruire des milieux naturels. Ce serait gagnant-gagnant pour les promoteurs, les citoyens et la municipalité. Toutefois, les coûts, pour réaliser la voie de circulation ainsi que la passerelle devant être assumés par la Ville, sont estimés à 25 M$. Il faut être optimiste pour croire que c’est une projection réaliste.

Il n’y a aucune évaluation de l’incidence d’un développement sur la circulation, notamment sur le chemin Saint-André. Il n’y a aucune projection des investissements nécessaires pour la mise à niveau du réseau routier, des coûts pour le remembrement du secteur qui n’est toujours pas complété, de l’impact financier de potentiels échanges de terrains, ainsi qu’aucune estimation de coûts relativement à l’aménagement du parc, de son stationnement, d’un possible chalet et des coûts d’opération et d’entretien.

Le plan suggère aussi l’implantation d’une école primaire au cœur d’un développement de moyenne / haute densité. À terme, il y aurait donc quatre écoles primaires publiques du côté de Saint-Luc, et ce, dans un rayon de ±1 km. Compte tenu que le gouvernement provincial peine à autoriser les écoles nécessaires et que la construction d’une nouvelle école vient d’être annoncée en 2024, alors qu’il n’y en avait pas eu depuis les 30 dernières années sur le territoire de Saint-Jean-sur-Richelieu, est-il judicieux, réaliste et honnête de prétendre qu’il y aura une école primaire dans ce secteur?

Le projet est mal ficelé, n’est pas chiffré et il est surtout non concerté. La Ville s’expose à des poursuites de la part des promoteurs qui envisagent déjà les recours judiciaires. S’enfoncer sur cette voie serait une grave erreur. Il est impératif de retourner à la table à dessin en commençant par réaliser le plan d’urbanisme qui est échu depuis 2007. La Ville devrait également terminer l’exercice du troisième plan de conservation qu’elle a entamé.

De plus, il serait judicieux de faire l’inventaire de l’ensemble des engagements pris par le conseil depuis les dix, voire quinze dernières années et s’assurer de l’adéquation du ou des projets à ceux-ci. Avec ces outils en main, elle sera plus apte à consolider son développement. Cela lui permettra, si elle fait un exercice rigoureux, de faire des choix dans l’intérêt de la collectivité. Cela lui évitera également de gaspiller, temps, argent et le peu de terrains qu’il lui reste pour un projet d’étalement urbain somme toute banal. Il faut une réponse systémique pour répondre à la crise du logement et non une solution à la pièce comme celle-ci.

Actuellement, on ne sait ni à qui est destiné ce projet, ni à quel besoin il répond réellement. Tel qu’entendu à l’occasion de l’entrevue du 15-18 de Radio-Canada du 13 février, la mairesse Andrée Bouchard n’est pas certaine si c’est un projet de secteur ou s’il s’agit d’un projet grande ville, et le conseiller Marco Savard se préoccupe davantage du pourtour du golf que de l’impact du projet. C’est tout simplement consternant, on se dirige droit dans un mur. Le projet ne répond pas à la crise du logement et va à l’encontre de la résilience climatique.

Saint-Jean-sur-Richelieu doit faire preuve de leadership en rassemblant les acteurs locaux autour d’une vision commune. Pour ce faire, elle doit consolider son développement en rebâtissant la ville sur elle-même, là où il y a une forte minéralisation et à proximité des services. Elle devrait également écouter ses citoyens qui réclament, depuis plusieurs années, de protéger les milieux naturels restants pour le bénéfice des générations futures et respecter ses engagements qui vont dans ce sens.

 

 

Marie Tremblay, résidente du secteur, candidate du district 8 et détentrice d’un baccalauréat en urbanisme et d’une maîtrise en prévention et règlement des différends